عبد الهادي بوحراشي عضو مبتدئ
عدد المساهمات : 4 نقاط : 10 السٌّمعَة : 0 تاريخ التسجيل : 03/12/2009
| موضوع: REMI SANS FAMILLE 2ème partie الإثنين يناير 25, 2010 12:21 pm | |
| [[[ color=red]size=18]center]CHERS SURFEURS, professeurs ,élèves, et autres, voici la deuxième partie de l'oeuvre SANS FAMILLE DE HECTOR MALOT. BONNE LECTURE ..... [/size][/color][/center] left] CHAPITRE VIII. REMI PERD VITALIS ET RETROUVE UNE FAMILLE.
Nous étions encore bien loin de Paris. Nos longues heures de marche étaient tristes. Il faisait très froid ; nous avancions sans parler, et ce silence me serrait le cœur. Peu à peu, nous approchions de Paris ; j’avais beaucoup entendu de cette grande ville. Je la croyais belle d’un bout à l’autre,avec de grandes maisons, des gens richement habillés, et de l’or un peu partout. Mais, un matin, Vitalis s’arrête au bord du chemin et me dit : -Regarde, Rémi, voilà Paris ! Devant moi, je vois des maisons, noires, sales, qui semblent s’allonger très loin sous le ciel gris. Puis un moment après le soleil commence à briller, et une grande lumière éclaire la ville. Que Paris alors était beau ! Vitalis voulait aller près d’un vieux mur qu’il connaissait,où nous pourrions nous reposer et dormir sans avoir trop froid. Nous n’avions rien à manger. Vitalis était de plus en plus fatigué : il me montrait qu’il ne pouvait pas parler, il marchait très lentement, il respirait avec difficulté. J’avais très envie de lui dire que je l’aimais, mais je pouvais seulement le regarder. Enfin, nous trouvons un grand mur, près d’un jardin ; nous ramassons un peu de paille qui se trouvait par là, et nous nous couchons dessus. J’étais serré contre Vitalis, et je tenais Capi sur ma poitrine. Le sommeil me gagnait, je voyais, comme dans un brouillard, la Mère Barberin, puis Madame Milligan, Arthur,et je me demandais si j’allais mourir là. Soudain, le sommeil est le plus fort ; en même temps la glace entre dans mon cœur. Il me semble que je m’en vais, loin, très loin…. Et je me réveille, couché dans un lit : un bon feu brûle dans la cheminée. Je ne reconnaissais pas la chambre ; je ne connaissais pas non plus la petite fille qui venait près de moi en souriant. Je me soulève et demande : -Et Vitalis ? Où est Vitalis ?
Je lui explique que Vitalis n’était pas mon père, mais mon maître. Un homme en veste grise arrive. Il me regarde, me raconte ce qui s’est passé : Dans la nuit, cet homme, qui était jardinier, avait ouvert la porte, en allant, vers deux heures du matin, vendre ses fleurs au marché, assez loin de là. Il nous avait trouvés, Vitalis et moi, avec Capi, couchés par terre. Il n’était pas arrivé à nous réveiller, et avait pensé qu’il se passait quelque chose de grave ; il était allé chercher une lumière , et avait vu que Vitalis était mort. Moi, je respirais encore ; le jardinier m’avait emmené chez lui, et couché dans le lit d’un de ses enfants. Pendant que l’homme parlait, la plus petite fille aux grands yeux bleus étonnés me regardait, elle voyait ma peine et poussait de petits cris doux que je ne comprenais pas. Ses yeux étaient pleins de douceur et me faisaient penser à ceux de la Mère Barberin, ou de Madame Milligan. Je devais apprendre à connaître mieux cette enfant, et à l’aimer vraiment. Au moment où le jardinier et ses enfants retournent à la cuisine pour prendre leur repas, je me lève ; je suis bien faible mais je me force à me tenir sur mes jambes, et à traverser la cuisine. Je sens la soupe qu’ils étaient en train de manger ; j’ai mal au cœur, je me retiens à un meuble. -Quand as-tu mangé, mon garçon ? me demande le père. -Avant-hier. La petite fille aux yeux bleus, sans attendre, se lève et vient me porter son assiette de soupe. Je la mange si vite que tous les enfants, et leur père aussi, se mettent à rire. -Où vas-tu maintenant ? me demande le jardinier. -Jouer se la musique, gagner ma vie : mais je veux d’abord revoir mon bon maître Vitalis. Mort ou vivant, je voulais en effet revoir mon ami. -Voir ton maître, c’est bien, me dit l’homme. Partir sur les chemins, seul, en plein hiver… c’est autre chose. Pourquoi ne pas rester avec nous ? Tu travailleras, tu vivras avec nous, tu te donneras du mal, mais tu auras une maison, et une famille !
Pour toute réponse, je dépose ma harpe dans un coin, et à ce moment j’entends à la porte de petits cris. Je vais ouvrir : c’était Capi, qui se jette sur moi, tout heureux. Je regarde le jardinier. « Et Capi ? », lui dis-je. -Capi, tu le gardes, répond-il. Que j’étais content ! Une famille, des enfants, cette jolie fille aux yeux bleus, aux cheveux blonds, au doux regard ! Et une maison ! Plus de chemins fatigants, plus de nuits dehors ! Ne plus avoir faim, ni froid ! Mais, d’abord, je voulais voir Vitalis. Le jardinier m’emmène donc au poste de police, où on me pose mille questions. On m’explique aussi que Vitalis n’était pas le vrai nom de mon maître. Son vrai nom était Carlo Balzani ; il avait été, autrefois, un chanteur très connu, le plus connu de toute l’Italie ; un jour sa voix s’était perdue, il avait voulu quitter tous ceux qu’il connaissait. Il était parti, mener cette vie de montreur de chiens, sur les grands chemins. Voilà donc l’explication des paroles de la dame élégante qui avait appelé mon maître un artiste ! Pauvre et cher Vitalis ! Artiste, roi, rien ne m’aurait étonné de lui ! Le lendemain, on enterrait mon maître. La fièvre me tenait au lit, et le médecin, me voyant très malade, voulait m’envoyer à l’hôpital. -Non, dit le père, puisqu’il est venu tomber à notre porte, et non à celle de l’hôpital, nous devons le garder. Etiennette, la grande sœur, et Lise, ma petite amie aux yeux bleus, me soignaient bien, Alexis et Benjamin, leurs frères, me racontaient des histoires, le père venait me voir : en peu de temps, j’étais guéri. Pour mes premières sorties, au printemps, Lise et moi nous promenions au bord de la Bièvre. Lise était muette, non pas de naissance, mais elle l’était devenue à la suite d’une mauvaise maladie ; son intelligence était grande, et son cœur plus grand encore. Peu à peu, mes forces revenaient ; je m’étais mis à travailler avec le jardinier, qui se nommait le père Acquin ; il cultivait des fleurs qu’il allait vendre au marché ; ces fleurs avaient besoin de grands soins et poussaient dans des serres. Nous vivions heureux quand, un jour, un dimanche, pendant une promenade que nous faisions ensemble, la poussière se lève, le ciel devient tout noir, et bientôt c’est l’orage !
Nous rentrons à toute vitesse, mais quand nous arrivons, nous voyons les serres en morceaux, les fleurs enlevées par le vent, du verre cassé partout ! Tout l’argent que devaient donner nos fleurs était perdu !
La bièvre : rivière française. La serre : sorte de maison de verre où les plantes sont gardées de la pluie, du vent, du soleil, de la neige.
CHAPITRE IX. ENCORE UN DEPART !
Pendant plusieurs jours, le père a couru partout, voir des Messieurs, voir la police, enfin, beaucoup de gens ! Il avait acheté cette maison dix ans avant, pour la payer en quinze ans ; et maintenant il ne pouvait plus le faire, puisqu’il ne pouvait plus vendre les fleurs perdues à cause de l’orage ! -Mes enfants, nous dit-il un soir, je vais vous quitter ! Oh ! Je n’ai pas envie de le faire, mais je ne peux plus payer et on me garde en prison ! Le père Acqin avait une sœur, la tante Catherine ; il me demande de lui écrire une lettre pour avoir de ses conseils. Elle arrive ; c’était une bonne, très bonne personne, mais elle n’était pas riche non plus, et malgré les demandes de Benjamin et d’Alexis, de ma petite Lise et d’Etinnette, elle ne pouvait me prendre chez elle ! Tout le monde, chez nous, était triste. Lise devait aller chez tante Catherine, dans le Morvan. Etiennette, chez une autre tante dans les Charentes. Alexis, chez un oncle, dans les Cévennes. Benjamin, chez un autre oncle, à Saint-Quentin, un jardinier aussi. -Ecoutez, dis-je à mes amis, je le vois bien, vous m’aimez comme votre frère ! -Oh, oui ! me disent-ils tous ensemble. -Eh bien voilà : je vais reprendre ma harpe, et repartir avec Capi sur les chemins, pour gagner ma vie. Ma route me conduira de l’un à l’autre, je vous verrai tous, et donnerai à chacun de nouvelles. L’idée semble très bonne à tous. Le lendemain, au moment de quitter la maison, Lise arrive près de moi, me fait signe de venir avec elle ; elle m’emmène près d’un rosier, casse une branche qui portait deux boutons de rose, et m’en donne un ! Ah ! j’ai compris ce jour-là que les mots qui sortent des lèvres n’ont pas plus de sens que les regards ! Tout le monde partait, chacun dans une direction différente. Et moi, tout seul. Mais j’étais fort maintenant. Je n’étais plus seul au monde. J’avais une famille. Je pouvais être utile, faire plaisir à ceux que j’aimais et qui m’aiment.
Une nouvelle vie commençait. Je pensais à Vitalis, à ses conseils. Et je me disais : « En avant ! » Le monde était ouvert devant moi ; je pouvais aller vers le Nord, l’Ouest, ou le Sud, comme je voulais ! La chose qui m’était la plus utile, c’était une carte de France. J’en trouve une, bien vieille, et cherche la sortie de Paris. En arrivant à la rue Mouffetard, je trouve assis près d’une maison, Mattia, un grand garçon triste, que j’avais vu un jour chez le méchant Garofoli, un montreur de chiens que connaissais Vitalis. -Que fais-tu là ? lui dis-je. -je n’ai pas d’argent ; je n’ai pas mangé depuis hier. Garofoli a été emmené quand la police découvert qu’il nous traitait trop mal, mes camarades et moi. Je ne sais pas ce que je vais faire. Et vous ? -Oh, moi, j’ai un métier, je suis montreur de chiens, et chanteur ! -Pourquoi ne pas me prendre avec vous ? me dit Mattia, j’ai un violon, nous serons deux, nous gagnerons plus d’argent. Je me décide à emmener Mattia. Nous étions donc trois : Mattia, Capi et moi. Le père Acquin m’avait donné une grosse pièce d’argent : elle était juste suffisante pour acheter du pain. Nous nous mettons en route. Je voulais aller voir ma Mère Barberin ; j’avais l’idée de lui apporter une vache, si je pouvais, si je gagnais assez d’argent. Mattia ne me gênait pas, au contraire ; il jouait du violon, et nous gagnions bien notre vie. Je lui apprenais à chanter, Capi était heureux, et peu à peu, nous arrivions près de Varses, dans les Cévennes, où Alexis était allé vivre chez son oncle. Varses est une ville grise, noire, sale ; sa richesse se trouve sous terre ; les gens travaillent à la mine pour en sortir le charbon. Et nous voilà un jour près de l’ouverture de la mine, à attendre Alexis. Tout à coup, un grand garçon au visage noir me saute au cou : c’était lui ! tout couvert de charbon ! Son oncle arrive, et nous emmène chez lui. C’était une famille de bonnes gens. Le temps passait vite ; Alexis me racontait sa vie,
il était fier de son travail, et j’avais bien envie de descendre dans la mine. -Impossible, mon garçon, seuls y descendent ceux qui y travaillent. Reste avec nous, je te ferai prendre comme ouvrier ! Et je trouverai bien aussi à employer Mattia ! Je voulais continuer mon chemin ; j’avais un autre but que de travailler dans la mine. Nous disons donc au revoir à Alexis, à l’oncle Gaspard, ce qui nous fait de la peine ; puis, encore une fois : en avant !
le Morvan, les Charentes, les Cévennes : régions de France.
Saint-Quentin, Varses : villes de France. La mine : bancs de charbon qui se trouvent sous la terre.
CHAPITRE X. LE VETERINAIRE ET LA VACHE
Nous voulions acheter une vache à la Mère Barberin ; je n’avais pas oublié celle qu’elle avait été obligée de vendre, et je tenais à aller la revoir, à l’embrasser, à lui donner une belle vache ; j’étais certain de lui faire plaisir. Depuis que Mattia était avec moi, je lui avais appris à lire, à écrire, à compter ; mais son esprit ne s’intéressait pas beaucoup à cela. En musique, au contraire, il avait fait des progrès étonnants. Il commençait à me poser des questions difficiles. Nous continuons notre route ; en jouant de la musique, en chantant, en faisant travailler Capi, nous arrivons à gagner de bonnes sommes d’argent. A Ussel, je raconte à Mattia que c’est la ville où Vitalis m’avait acheté mes premières chaussures ! Ces chaussures à clous qui m’avaient rendu si heureux ! Nous allons poser nos sacs à l’hôtel où j’étais descendu avec Vitalis. Puis nous nous mettons à la recherche d’un vétérinaire. Je lui explique que nous voulons acheter une vache ; d’abord, cela lui paraît drôle, car il ne nous voyait pas promenant une vache à travers la France. Mais quand je lui raconte ce que nous voulons faire de l’animal, il me répond : -Vous êtes de braves garçons, venez me chercher demain matin, j’irai avec vous au marché et je vous promets que nous choisirons une belle bête. -Combien vous devrons-nous, Monsieur ? -Rien du tout, je ne vais pas prendre de l’argent à de braves enfants comme vous. Le soir, pour remercier le vétérinaire, nous allons devant sa porte jouer de la musique. Il était tard, et le voilà qui se met à sa fenêtre, nous reconnaît, descend bien vite et nous ouvre la porte. -Entrez, entrez, mes enfants, dit-il, que voulez-vous donc ? il est tard ! -Nous vous jouons de la musique, pour vous remercier d’être si bon pour nous.
-C’est très gentil de votre part, mais alors, entrez dans le jardin, car l’agent va vous arrêter : il est défendu de faire du bruit au coucher du soleil !
Le vétérinaire avait beaucoup d’enfants, nous étions donc nombreux dans son jardin, et la soirée se passe agréablement et vite. Nous allons nous coucher, ayant bu et mangé beaucoup de bonnes choses qu’il voulait nous offrir. Le lendemain, nous allons de bonne heure au marché, où le vétérinaire doit nous retrouver. Nous avions vu dix-sept vaches, mais notre ami arrive, et en choisit une autre encore. Elle coûte cher et nous arrivons tout juste à l’acheter. La vache, et la corde pour lui passer au cou et la conduire, voilà notre poche vide, quand, vers le début de l’après-midi, nous nous remettons en route. Pourtant, le jour du marché avait fait venir un grand nombre de gens à Ussel, et, le soir venu, nous avions de nouveau gagné quelque argent. En arrivant près de Chavanon, nous nous reposons un peu, j’enlève sa corde à la vache, qui se met à manger de l’herbe, et nous mangeons tranquillement notre bon pain frais. Mattia, tout content, commence à jouer une chanson si gaie, si gaie…que la vache lève la tête , se sauve, si vite que nous ne pouvions l’attraper ! Nous voilà donc en train de courir après elle, Capi aussi, et nous entrons tous ensemble, la vache en tête, dans le village de Chavanon ! Là, des gens l’arrêtent ; mais quand nous la demandons, personne ne veut croire qu’elle est à nous. « Où l’avez-vous achetée ? avec quel argent ? et, d’abord, où sont vos papiers ? » nous demande l’agent ! De papiers, je n’en ai jamais eu ! On nous emmène à la police, et je fais taire Mattia, me rappelant ce qui était arrivé à mon pauvre Vitalis à Toulouse. Enfermés en prison, nous étions bien tristes, quand tout à coup la porte s’ouvre, pour laisser passer un vieux monsieur à cheveux blancs. C’est le juge de paix. -On me dit que vous avez volé une vache ? Nous dit doucement le vieux monsieur. Je lui raconte notre histoire. Je lui donne le nom du vétérinaire à Ussel. Je lui explique comment nous avons gagné de quoi acheter cet animal, en travaillant de Paris à Varses et de Varses à Ussel.
-Puisque vous êtes allés à Varses, racontez-moi ça, je verrai bien si vous dites la vérité. Vous me donnez des noms, mais je ne peux savoir si votre histoire est vraie. Et qui de vous deux est Rémi ? -Moi, Monsieur le juge ! Je lui raconte tout ce qui s’était passé depuis que j’avais rencontré Mattia. Le juge m’écoute, avec un bon regard. Puis il nous quitte. Nous passons une nuit sans histoire, et le jour suivant, le juge de paix revient, avec notre ami le vétérinaire, qui avait voulu venir lui-même nous mettre en liberté. Le juge tenait à la main un beau papier, avec un timbre dessus : -Vous avez tort, nous dit-il, de faire ces voyages sans passeport. En voilà un, pour vous deux. Au revoir et bonne chance, mes enfants ! En passant devant la boulangerie, une idée me vient : -Je vais acheter à la mère Barberin de quoi faire des crêpes, dis-je à Mattia : nous arriverons avec du beurre, de la farine, elle aura le lait de la Roussette, et nous trouverons des œufs près de chez elle, ce sera plus sûr : nous pourrions les casser en route.
Le vétérinaire : médecin pour animaux.
Chavanon : village de Rémi
CHAPITRE XI. RETOUR AU VILLAGE.
Le soir tombait. Je reconnaissais le pays, que j’avais si souvent peint à Mattia. Nous arrivons près de la maison de Mère Barberin, et j’entre doucement : elle n’est pas là. Nous mettons la vache à l’étable, puis je m’assieds au coin de la cheminée, et Mattia se cache, avec Capi, derrière le lit. Bientôt la Mère Barberin entre dabs la cuisine. Elle voit bien quelqu’un près de la cheminée, mais ne me reconnaît pas : -Qui est là ? demande-t-elle. -C’est moi, Rémi, c’est moi, oh, Maman ! Elle me serre dans ses bras, répète mon nom, ne peut croire que c’est bien moi. Un petit bruit, près du lit, me rappelle la présence de Mattia. Je vais à lui et le présente à Mère Barberin. Puis, je demande à la chère femme de venir au jardin avec nous : une fois dehors, elle entend la vache ! Elle n’en croit pas ses oreilles ! -C’est pour toi, dis-je, je n’ai pas voulu revenir les mains vides chez Mère Barberin, qui a été si bonne avec le petit Rémi sans parents. -Oh, mon cher garçon, dit-elle, mon bon enfant ! Et quelle belle vache ! Ah, les bons garçons ! Et elle ajoute : -Barberin n’est pas là, Rémi. Il est à Paris ; je vais faire les crêpes, et je t’expliquerai ce qui est arrivé. Plus tard, pendant que nous mangions les crêpes, si bonnes, que vient de faire ma Mère Barberin, elle me dit : -Rémi, un homme est venu voir le père Barberin : il parait que ta famille te cherche. Ecoute-moi bien : cet homme, certainement, très riche, est venu parler avec Barberin. Je n’ai pas entendu tout ce qu’ils disaient, mais mon mari m’a dit ensuite que ce monsieur faisait des recherches pour te trouver, de la part de ta famille. Oh, Rémi, tu dois retrouver Barberin, il te dira ce que tu dois faire. Et elle me donne l’adresse de l’hôtel où Barberin habite. Le lendemain, sur les conseils de la Mère Barberin, nous nous mettons donc en route pour Paris. Nous avons juste le temps de nous arrêter à Dreuzy, sur le canal, pour embrasser Lise. Je lui avais acheté
une poupée, et je n’oublierai jamais son sourire à notre arrivée ! Je n’avais pas envie de la quitter ; elle était heureuse chez son oncle et sa tante, qui étaient très bons. Mais il fallait retrouver Barberin et, par lui, ma famille ! En arrivant à Paris, après quelques jours de voyage sans histoire, nous allons à l’hôtel. Là, nous apprenons que Barberin est mort depuis quelques jours ! Mort, Barberin ! Je n’avais pas envie de le revoir ! Mais il avait l’adresse de ma famille ? Que faire maintenant ? J’écris à ma Mère Barberin ; en attendant sa réponse, Mattia et moi gagnons un peu d’argent avec Capi ; Mattia avait fait beaucoup de progrès, et chaque fois qu’il jouait du violon, beaucoup de personnes s’arrêtaient pour l’écouter, et je les entendais souvent dire : « Quel bel enfant ! Et comme il joue bien ! C’est vraiment un artiste .» Je pensais que mon ami deviendrait un grand artiste, et j’étais fier de lui. Il m’aimait bien, il me parlait quelquefois de sa petite sœur d’Italie ; il me semble presque la connaître maintenant.
La réponse de Mère Barberin arrive bientôt. Elle avait appris la mort de son mari après notre départ. Et elle avait reçu de lui une lettre, écrite par le pauvre homme quand il s’était senti mourir ; voilà ce que disait la lettre de Barberin : « Je suis à l’hôpital, très malade ; je sens que je ne guérirai pas. Tu devrais écrire chez Greth and Galley, Green Square, Lincoln’s Inn, à Londres. Ce sont les gens de loi chargés de retrouver Rémi ; ils sont payés par sa famille. N’oublie pas de leur demander de l’argent, car c’est nous qui avons élevé le garçon, et c’est nous qui permettons à sa famille de le retrouver ». Mère Barberin ajoutait quelques lignes pour me dire d’aller bien vite à Londres ; elle était sûre que j’allais être heureux, et la chère femme était heureuse pour moi.
Dreuzy :voir la carte l’étable : lieu où dorment les vaches
CHAPITRE XII. DEPART POUR L’ANGLETERRE Mattia savait quelques mots d’anglais. Il nous restait assez d’argent pour faire le voyage de Paris à Londres. Le lendemain du jour où j’avais reçu la lettre de Mère Barberin, nous partons, Mattia, Capi et moi. En avant, encore une fois ! Oui, mais, maintenant, c’est pour retrouver, enfin, ma famille ! Nous devions donc aller chez Greth and Galley. Le voyage se passe bien, et nous nous trouvons, un matin, sur les quais de la Tamise. Mattia s’approche d’un gros homme qui passe et lui demande le chemin de Green Square. -C’est très facile, répond le gros homme ; vous suivez la Tamise, et vous y arriverez sans pouvoir vous tromper. J’attache Capi avec une grosse corde ; nous partons. De temps en temps, Mattia demande si nous sommes encor loin. Nous nous croyons perdus, parce que le chemin semble sans fin. Mais enfin, nous arrivons à Green Square. Nous cherchons le nom de Greth and Galley et regardons toutes les maisons. Nous le trouvons sans trop de peine. Au moment où Mattia allait sonner la porte, je l’arrête : Qu’as-tu ? me dit-il. Tu es tout blanc ! Attends un peu, Mattia. Je veux reprendre mon courage. Un moment après, il sonne, et nous entrons. J’ai très peur, et je ne vois pas très bien les personnes qui travaillent dans ce bureau. Mattia s’avance, et demande à parler à Monsieur Greth and Galley, de la part de Monsieur Barberin. L’employé le regarde et répète : De la part de Monsieur Barberin ? Oui, dit Mattia. Le nom de Barberin a fait lever la tête à tous les employés. L’un d’eux va frapper à la porte du bureau voisin, y reste quelques minutes, et revient : Entrez, nous dit-il, on va vous recevoir. la Tamise : la rivière qui traverse Londres
Nous entrons. Un monsieur, très bien habillé, est en train d’écrire à une table. Nous venons trouver la famille de Rémi, dit Mattia. Qui êtes-vous ? Qui est l’enfant élevé par Barberin ? C’est moi, dis-je en m’avançant. Où est Barberin ? -Il est mort, Monsieur. -Mais alors, comment avez-vous su que vous deviez venir ici ? Je raconte mon histoire. Pendant que je parlais, le Monsieur écrivait sur une grande feuille de papier. Moi, j’avais grand envie de poser une question, et au bout d’un moment, je me décide : -Ma famille, Monsieur, habite l’Angleterre ? -Certainement, en ce moment du moins. -Alors, je vais la voir ? -Vous serez bientôt avec elle. On va vous y conduire. -Encore un mot, Monsieur, s’il vous plait. Ai-je un père ? -Un père, une mère, des frères, des sœurs. -Ah ! Monsieur ! J’étais très heureux ; j’avais envie de pleurer. Mais la porte s’ouvre, un employé entre. Le Monsieur lui parle en anglais, je pense qu’il lui explique où il doit nous conduire. En nous disant au revoir, il ajoute : -Ah, j’oubliais, votre nom est Driscoll ; c’est le nom de votre père. L’employé qui doit nous conduire chez mes parents nous fait monter dans une voiture. Nous roulons longtemps ; les rues deviennent étroites, grises, sales. Comment mes parents, s’ils sont riches, comme on me l’a dit, habitent-ils un si pauvre quartier ? La voiture s’arrête. L’employé nous fait descendre. Nous voilà arrivés ! Nous entrons dans une maison laide et sale ; nous montons un escalier sombre. L’employé frappe à une porte ; je suis heureux, oui, mais en même temps j’ai peur, une peur qui me serre la gorge et le cœur. Je ne me rappelle plus qui est venu nous ouvrir.
CHAPITRE XIII. LA FAMILLE DE REMI ?
Nous nous trouvons dans une chambre 2clair2e par une lampe et un feu de charbon. Devant ce feu ? Assis sur une chaise basse , se trouve un vieil homme à la barbe blanche. En face l’un de l’autre, assis, sans parler, se trouvent un homme et une femme. L’homme a quarante ans peut-être, et la femme semble un peu plus jeune ; il a des yeux intelligents, mais durs ; la femme a un regard vide, et ses cheveux blonds, mal peignés, pendent sur ses épaules. Dans un coin, quatre enfants sont en train de jouer sans faire de bruit ; ils sont tous blonds, comme leur mère, d’un blond très clair. Je vois tout cela très vite ; personne n’a encore dit un mot, mais ce tableau m’a frappé pour toujours. L’employé s’avance vers l’homme, et lui dit quelques mots en anglais. Je ne le comprends pas du tout. -Qui est-ce Rémi ? demande l’homme. -C’est moi, dis-je. -Eh bien, embrasse ton père, mon garçon, dit l’homme. J’avais souvent pensé au jour où je retrouverais mon père, j’avais cru que ce serait un moment de bonheur. Mais, à cette minute, je sentais mon cœur vide. Je m’avance quand même, et j’embrasse cet homme. -Embrasse ta mère, me dit l’homme. Je vais vers la femme, et l’embrasse aussi, puis j’embrasse mes frères et sœurs. Ni les uns ni les autres ne me disent rien. Ils se laissent embrasser sans répondre ; -Serre la main de ton grand-père, ajoute mon père. Et fais attention, il est vieux. Je m’avance près du vieux, je lui prends la main ; il me regarde, et crache par terre ! Je me sentais très triste. Et je me disais : si mes parents avaient été riches, serais-je triste ? Cette pensée me faisait beaucoup de peine ; je vais de nouveau à ma mère, et l’embrasse bien fort. Mais elle ne dit toujours rien.
-Et celui-là, dit mon père, qui est-ce ? -C’est Mattia, mon ami, dis-je. Je raconte comment Mattia et moi nous avons vécu et travaillé ensemble, et combien nous nous aimons. -Tu dois être curieux de savoir, dit mon père, comment nous avons eu l’idée d’aller trouver Barberin au bout de treize ans de silence. Je vais te raconter cela : tu es notre fils aîné Quand j’ai épousé ta mère, il y avait une jeune fille qui croyait que j’allais me marier avec elle. Quand tu es né, elle t’a volé, et t’a emmené à Paris, pour nous faire de la peine. Nous t’avons cherché, mais sans rien demander à Paris, car nous ne pouvions croire qu’elle t’avait emporté si loin. Il y a trois ans, cette jeune fille, qui allait mourir, nous a écrit pour nous dire la vérité ; elle t’avait laissé à la porte d’une maison, dans un village de France. Je t’ai alors fait chercher par les gens de loi qui s’occupent de mes affaires, MM. Greth and Galley. Parce que nous habitons à Londres en hiver, et que nous voyageons sur les routes à la belle saison, MM. Greth and Galley n’ont pas donné notre adresse à Barberin. Enfin, tu nous a retrouvés, et tu vas reprendre ta place dans la famille ; j’espère que tu t’habitueras vite ; ton ami et ton chien peuvent rester avec nous. Les beaux petits vêtements que je portais quand Barberin m’avait trouvé étaient trompeurs. Mes parents n’étaient pas riches ; l’homme qui était venu voir Barberin avait menti aussi ! Mais maintenant, j’avais une famille, et je devais l’aimer. La richesse, après tout, ne compte pas, quand on s’aime. Mais je trouvais bien froids ma mère, mon grand-père, mes frères et sœurs. Le dîner fini, je croyais que nous allions passer un moment devant le feu, à parler tous ensemble. Je me trompais : mon père me dit qu’il attend des amis, et que nous devons nous coucher. Il nous emmène, Mattia et moi, dans une grande salle sombre, où on entre par une des portes de la maison. Là se trouvent deux voitures à cheval. Il ouvre la porte d’une de ces voitures, et nous montre deux lits, placés l’un au dessus de l’autre : Voilà vos lits, dit-il, dormez bien. Il nous avait laissé une petite lampe, mais il avait fermé la porte de notre voiture. Nous étions bien fatigués, nous éteignons tout de
suite après nous être couchés. Je ne peux pas dormir ; une peur mêlée de tristesse m’empêche de fermer les yeux. Je n’ai pas envie de parler à Mattia. Je pense à mes amis de France, et le sommeil ne vient pas. Le temps passe, et les heures me semblent bien longues. Vers le mileu de la nuit, j’entends du bruit : la porte s’ouvre . Capi, couché près de moi, commence à crier ; je mets ma main sur sa bouche pour l’arrêter. Je regarde par la petite vitre de la voiture : mon père est entré , suivi de deux hommes chargés de gros paquets. Il met un doigt sur sa bouche , pour leur dire de parler bas, et leur montre la voiture où nous étions couchés. Il a une lampe à la main, je vois ce qu’il fait : il commence , avec les deux hommes , à défaire les paquets. Ma mère arrive à son tour, et regarde les choses que ces hommes sortent les unes après les autres. Mon père commence alors à couper les endroits où sont écrits les prix de chacun de ces vêtements, et les passe à ma mère, qui refait de gros paquets. Je ne comprenais pas pourquoi des marchands venaient si tard vendre ces vêtements à mes parents. Après le départ des deux hommes, je vois mon père ouvrir une sorte de porte placée dans le plancher ; il jette dans un trou les paquets que ma mère avait refaits. Puis il referme la porte avec soin et s’en va, suivi de ma mère, en laissant tout en ordre dans notre grande salle. J’ai maintenant compris ! je sais pourquoi j’avais peur, pourquoi j’étais triste ! Mes parents sont des voleurs ! Le jour suivant, nous nous levons, nous entrons dans la cuisine. Ma mère est assise, la tête posée sur une table. Je m’approche pour l’embrasser : elle me pousse, et je m’aperçois qu’elle sent du vin ! Mattia et moi sortons alors pour nous promener dans les rues de Londres. Arrivés dans un petit jardin où il n’y a personne, nous nous asseyons. Mattia voyait que j’avais très envie de pleurer. Et bientôt, je pleure bien fort. Je dis à Mattia : Tu ne dois pas rester ici , Mattia. Va-t’en, en France , en Italie, où tu voudras, mais ne reste pas ici. Et toi ? Moi , je ne peux pas partir. J’ai retrouvé ma famille. Prends l’argent qui nous reste et pars. Non, Rémi, si quelqu’un doit partir, c’est toi. Et comme un vrai frère, il m’embrasse.
Ecoute-moi, Rémi, je suis sûr que ces gens ne sont pas tes parents. Tu as vu, cette nuit ? Réponds-moi, je te le demande. Oui, Rémi, j’ai vu. Les Driscoll sont …des voleurs. Mais ce sont mes parents. Je suis sûr que non. Pourquoi serais-tu si brun, quand tes frères et sœurs sont si blonds ? Ta mère aussi est blonde, et ton père a les cheveux gris, mais il a la peau très claire. Tu ne ressemble à aucun d’eux. Et quelque chose dans mon cœur, me dit que tu n’es pas l’enfant de ces gens-là. Je suis décidé, je reste avec toi. Revenus à la maison, nous trouvons mon père qui nous demande : Comment gagniez-vous votre vie en France ? Nous jouions de la harpe, du violon, et Capi faisait des tours. Bien, très bien, dit mon père, montrez-moi ça. Mattia joue du violon, je joue de la harpe, et Capi fait quelques tours. Mon père a l’air très content et dit : Il peut gagner beaucoup d’argent, ce chien-là ! Oui, die-je, mais il travaille seulement avec Mattia et moi. Ici , c’est moi qui commande, dit mon père. Demain, Capi viendra avec moi. Vous, vous irez chanter vos chansons, et vous me rapporterez tout ce que vous gagnerez. Une nouvelle vie commence donc : nous partions, Mattia et moi, dans les quartiers les plus riches de Londres ; nous gagnions beaucoup d’argent. Le soir, nous retrouvions Capi, tout heureux de nous revoir. Mais je ne m’habituais pas à ma « famille ». J’écris, une fois de plus, à ma Mère Barberin, pour lui demander de me dire comment étaient mes petits vêtements de bébé, ceux que je portais quand Barberin m’avait trouvé.
CHAPITRE XIV. REMI COMMENCE A ESPERER
Quelques jours après, la lettre arrive. Mère Barberin m’explique comment étaient mes petits vêtements de bébé ; elle me rappelle que les vêtements ne portaient aucun nom, même pas celui de la boutique où ils avaient été achetés : un petit morceau avait été coupé à chacun d’eux. Elle me donne de bons conseils, ne voulant pas me voir triste d’avoir des parents pauvres. Ah ! elle ne sait pas pourquoi je suis triste ! Ce n’était pas facile de demander à mon père comment j’étais habillé quand j’avais été volé. Enfin, un jour où la pluie froide nous avait tous obligés à rester à la maison, je lui pose la question. J’avais peur de le voir se mettre en colère, mais il sourit et me répond : Je pensais te retrouver facilement, parce que chacun de tes vêtements portait ton nom. Mais la jeune fille qui t’avait enlevé avait pris soin de couper les coins où le nom était écrit ; elle espérait ainsi qu’on ne te retrouverais jamais. Puis il m’explique comment étaient mes vêtements ; ce qu’il me disait, c’était tout à fait ce que Mère Barberin m’avait écrit ! Comment ne pas croire qu’il était bien mon père ? Le soir, comme nous nous couchions dans notre voiture, je raconte à Mattia ce que m’avait dit mon père. Tu n’es pas le fils de Monsieur Driscoll, mais tu es l’enfant volé par lui ! Je ne peux pas croire Mattia. Si les Driscoll ne sont pas mes parents, pourquoi m’ont-ils fait chercher ? Pourquoi ont-ils donné de l’argent à des gens de loi pour me retrouver ? Toutes ces questions se mêlent dans ma tête. Et, chaque jour qui passe, nous devons quand même rire, faire faire des tours à Capi, chanter, jouer du violon ! Le meilleur jour, c’est le dimanche : à Londres, personne ne fait rien le dimanche ; je peux me promener avec Mattia, et ne penser qu’à ma tristesse ; nous emmenons toujours Capi, attaché à une corde.
Un dimanche, au moment où je me préparais à sortir avec Mattia, mon père me dit de rester à la maison et envoie mon ami se promener tout seul. Il y a une heure que nous sommes ensemble, quand on frappe à la porte. Mon père va ouvrir, et fait entrer un monsieur très différent des amis qu’il reçoit souvent : c’est un vrai monsieur, très bien habillé. Il a peut-être cinquante ans. Je me rappelle encore ce que j’ai remarqué ce jour-là : son sourire. Ce sourire était dur, méchant, et montrait de grandes dents, très blanches et très pointues. On se demandait, en le regardant, si ce n’était le sourire de quelqu’un qui , comme un chien, montre ses dents avant de vous mordre. Après avoir parlé en anglais quelques minutes avec mon père, il commence à parler français ; il demande : Voici donc le jeune Rémi ? Il semble en bonne santé ? Ensuite, il me regarde , avec son méchant sourire, tout à fait comme s’il allait me mordre. Puis, sans ajouter un mot, il se remet à parler anglais avec mon père, et ils sortent tous les deux. Au bout d’un assez long temps, mon père revient, et me dit que j’étais libre d’aller me promener. Je vais donc chercher, dans notre voiture, mon manteau de peau de mouton, et suis tout étonné de trouver là Mattia. Il pose un doigt sur ses lèvres et me dit tout bas : Sors le premier, ne ferme pas la porte, je te suivrai, attends-moi dehors. Personne ne doit savoir que j’étais ici. Je sors donc dans la rue, où Mattia vient me retrouver. Il me prend le bras et me dit, tout en marchant : Sais-tu qui était près de notre voiture, tout à l’heure, en train de parler avec ton père ? Monsieur James Milligan, l’oncle de ton ami Arthur ! Je restais, sans faire un mouvement, dans la rue ; Mattia me force à avancer, et continue : Ton père, avec un monsieur, est entré dans la grande salle. Je n’étais pas sorti, je n’avais pas envie de me promener tout seul, sans toi. J’ai entendu tout ce qu’ils ont dit : « Comment va votre neveu ? » a demandé ton père.
Mieux, a répondu le monsieur, il va guérir, cette fois encore. Sa mère l’a sauvé par ses soins. Ah, c’est une bonne mère, Madame Milligan. C’est à ce moment-là que mes oreilles se sont ouvertes bien grandes pour mieux écouter ! « Mais, a dit ton père, si votre neveu va mieux, pourquoi cacher l’enfant ? On ne sait ce qui peut arriver, a répondu le monsieur. Je ne veux pas voir Arthur vivre encore bien longtemps, et, à sa mort, j’aurai tout l’argent. Donc, faites attention. Soyez tranquille, a dit ton père. » Jamais je n’avais été aussi étonné. J’ai alors l’idée de demander à ma mère l’adresse de Monsieur Milligan, mais je me rends compte que je suis fou de penser à une chose pareille. Je sais qu’ Arthur est vivant. C’est une bonne nouvelle. Rien à faire, pour le moment.
CHAPITRE XV. LE RETOUR EN FRANCE.
Les jours passent. Le printemps vient, et nous devons quitter Londres pour aller à la campagne. Mattia et moi décidons de ne pas y aller et de revenir en France. Nous n’étions pas heureux avec les Driscoll et j’étais sûr maintenant qu’ils n’étaient pas mes parents. Quelques jours avant notre départ, Mattia rencontre dans la rue un montreur de chiens qu’il avait connu autrefois. Ils parlent un moment, et je demande à mon ami : Qui est-ce ? C’est Bob ; c’est lui qui m’a appris le peu d’anglais que je sais. C’est un bon ami, sûr, et qui va nous rendre service. Un soir, nous ne rentrons pas à la maison. Bob s’était arrangé pour louer une voiture qui nous conduit au port. Là un de ses frères, qui avait un bateau, devait nous conduire en France. Ainsi dit, ainsi fait. Le voyage se passe sans difficultés, et nous nous retrouvons, un matin, sur le sol de France. Que nous étions heureux ! Mattia avait son idée : il voulait voir Madame Milligan, et, pour cela, il nous fallait marcher le long des rivières et des canaux. Si la chance n’avait pas été pour nous, nous n’aurions jamais réussi. Je voulais d’abord m’arrêter à Dreuzy, pour voir ma petite amie Lise. Nous partons vers le sud. Deux jours, un jour, quelques heures encore ! Et, un matin, nous arrivons ! Voilà la maison de l’oncle et de la tante de Lise. Je me mets à courir, je frappe à la porte… une femme que je ne connais pas vient m’ouvrir. Madame Suriot ! Mes pauvres enfants, elle est partie pour l’Egypte, après la mort de son mari, pour s’occuper des enfants d’une riche famille. La petite Lise a été emmenée par une dame anglaise, qui habite sur un bateau. Mais…, ajoute-t-elle en me regardant, est-ce vous Rémi ? Oui, lui dis-je. Cette dame anglaise est très gentille ; voyant la peine de Madame Suriot, elle a offert de s’occuper de Lise. Elle l’a emmenée
sur son bateau, qui s’appelle Le cygne . Madame Suriot est donc partie tranquille. Mon mari et moi sommes venus remplacer les Suriot. Et la dame anglaise, Madame Milligan, m’a demandé de vous dire que vous devez aller la retrouver en Suisse, à Vevey*. Lise devait m’écrire pour me donner de ses nouvelles, et me dire son adresse, mais je n’ai pas encore reçu de lettre.
Le cygne : Grand oiseau blanc au bec jaune qui vit sur les rivières.
CHAPITRE xvi. EN FAMILLE !
Nous reprenons la route, en suivant le Rhône. Mattia est tout heureux, parce que la Suisse est près de l’Italie, et qu’il pourra, un de ces jours, aller voir sa famille. Un après-midi, je reconnais Le cygne sur une rivière. Mais personne n’y habite ! Nous demandons aux voisins s’ils ont l’adresse de Madame Milligan, qui a laissé là son bateau. Aucun d’eux ne peut rien nous dire ! Enfin, nous finissons par arriver à Vevey. C’est une grande ville, Vevey ! Nous marchons à travers les rues, demandant à chaque hôtel si Madame Milligan s’y trouve. On nous répond, à chaque fois, qu’on ne la connaît pas. Nous commençons à manquer de courage. Un jour, en arrivant près d’une belle maison entourée d’un grand jardin et d’un mur, nous nous asseyons sur le chemin. Chantons un peu, dit Mattia, cela nous fera du bien. Mattia avait raison. Moi, qui pensais tellement à Lise, je commence une des chansons qu’elle aimait. Et, au bout de quelques secondes, mon cœur bat…j’entends une petite voix, toute faible, continuer cette chanson. Je ne pouvais pas croire que c’était Lise. Mattia et moi courons comme des fous à la porte du jardin, et nous nous trouvons en face d’elle, qui venait nous ouvrir. Nous entrons, et de loin, je vois Madame Milligan et Arthur ; mais au moment où je courais vers eux, j’aperçois…l’homme aux longues dents qui était venu voir Monsieur Driscoll à Londres, et que Mattia avait vu ensuite ! Le même homme est à côté de mes amis, et leur parle ! Je prends la main de Lise : Lise, lui dis-je, Monsieur Milligan ne doit pas me voir. Elle ne comprend pas. Va-t-en, Lise, ou il peut m’ arriver malheur. Demain matin, à neuf heures, viens ici nous retrouver. Et nous partons bien vite. Lise, toute triste, ferme la porte du jardin. A quelques mètres de la maison, Mattia me dit : Tu sais, il ne faut pas attendre jusqu’à demain pour voir Madame Milligan, et lui dire… tout ce que nous savons. Comme
Monsieur Milligan ne m’a jamais vu, moi, il n’y a pas de danger si je vais trouver tout seul la mère de ton ami. Je ne parlerai de personne à Monsieur James Milligan. Mattia avait raison. Je le laisse donc partir et l’attends sous un gros arbre. Le temps me semble très long. Enfin, je vois revenir mon ami, avec Madame Milligan. Je cours vers elle, elle me prend dans ses bras, m’embrasse. C’était la seconde fois qu’elle m’embrassait, mais cette fois-ci, je sentais de l’amour dans les mots qu’elle me disait : Mon enfant, ce que je viens d’apprendre est tellement important pour vous, pour nous tous, que nous devons faire attention. Je vais prendre conseil. En attendant, vous allez laisser, aujourd’hui même, votre ami et vous, votre vie dure et difficile. Dans deux heures, vous allez vous présentez à l’hôtel des Alpes, où une personne sûre aura pris des chambres pour vous. C’est là que nous nous reverrons. Elle m’embrasse de nouveau et s’en va. Qu’as-tu donc raconté à Madame Milligan ? dis-je à Mattia. Mon ami ne me répond pas. Nous allons donc, à l’heure dite, à l’hôtel des Alpes. Le jour suivant, Madame Milligan vient nous voir. Elle amène un tailleur qui doit nous faire de beaux vêtements. Elle nous donne aussi des nouvelles de Lise, qu’elle avait montrée à un médecin, et qui allait bientôt être guérie et pouvoir parler. Mais elle ne nous dit rien d’autre. Pendant quatre jours de suite, elle vient ainsi passer quelques heures avec nous ; Arthur allait mieux. Elle semblait heureuse. Mais ne nous dit rien d’important. Enfin, le cinquième jour, une personne, envoyée par elle, vient nous chercher et nous emmène, en voiture, jusqu’à la maison de Madame Milligan . Nous traversons le jardin, Mattia, Capi, et moi, pour entrer dans une salle où se trouvaient Arthur, sa mère et Lise. Madame Milligan m’embrasse et me dit : Enfin, l’heure est venue où vous pouvez reprendre votre place ! Je n’avais pas encore eu le temps de lui dire un mot, et je vois entrer Mère Barberin. Tout étonné, mais tout heureux, je me jette dans ses bras. Elle m’embrasse, et pose sur la table un paquet de petits
vêtements d’enfant. Pendant ce temps, Madame Milligan donne un ordre à la personne qui nous a amenés de l’hôtel et je l’entends parler de Monsieur James Milligan. Me voyant devenir tout blanc, elle se tourne vers moi : Vous n’avez pas à avoir peur, me dit-elle avec un sourire. A ce moment, la porte s’ouvre, et je vois entrer Monsieur James Milligan. Jamais ses dents ne m’ont paru si pointues, son sourire si méchant. Mais ce sourire, quand il m’aperçoit, est vite remplacé par un regard de colère. Madame Milligan ne lui laisse pas le temps de parler : Je vous ai fait venir, lui dit-elle, pour vous présenter mon grand fils, que je suis si heureuse de retrouver enfin ! Le voici ; vous l’avez vu, à Londres, chez l’homme qui, sur votre ordre, l’avait autrefois volé. Cet homme a tout dit. Il a écrit une lettre, où il explique ce qu’il a fait, et comment vous lui aviez demandé d’enlever mon enfant. Voici cette lettre. Il explique aussi comment il avait coupé le linge et les vêtements de mon fils, pour que personne ne puisse savoir son nom. Voulez-vous lire cette lettre ? Voulez-vous voir ces vêtements ? Monsieur Milligan, blanc de colère, répond : Nous verrons ce que les tribunaux penseront de toute cette histoire. Vous pouvez aller devant les tribunaux. Je n’y conduirai jamais celui qui a été le frère de mon mari. Monsieur James Milligan, plus blanc que la mort, sort, sans ajouter un mot. Je me jette alors dans les bras que ma mère me tend, puis dans ceux d’Arthur. Nous nous embrassons, et je demande à Mattia, qui, muet, attend sans faire un mouvement : Tu savais donc tout ? Mattia m’a raconté ce qu’il avait entendu à Londres, mon petit Rémi, dit ma mère. Mais je voulais être sûre que vous étiez bien mon fils. La Mère Barberin, en m’apportant ces petits vêtements, qui vous habillaient lorsque vous avez été volé, m’a montré que je ne me trompais pas. Maintenant, c’est pour toujours que vous vivrez avec votre mère, votre frère, et aussi avec Mère Barberin, Lise et Mattia,
qui vous ont aimé alors que vous étiez un enfant malheureux, un enfant sans famille.
* ** *** ****
Les années ont passé. Il y a quelque temps, je me suis marié avec Lise ; mon frère Arthur s’est marié avec la sœur de mon ami Mattia, qui était venue le voir, et est aimée de nous tous. Mon petit ami italien est devenu un grand artiste, connu à travers le monde. Nous habitons ensemble, heureux, dans la belle maison de famille que nous avons en Angleterre. La mère Barberin s’occupe de mon premier enfant. Mattia voyage beaucoup, mais il ne marche plus sur les grands chemins ! Il vient d’arriver, pour passer quelque temps chez nous, parce qu’il doit jouer à Londres, ces jours-ci. Ce soir, nous sommes tous réunis. Tous ? Non. Mon bon maître Vitalis nous manque. Comme nous serions heureux de le voir ici ! Il aurait vieilli, tranquille, avec nous ! Cher Carlo Balzani, je ne vous oublierai jamais, soyez-en sûr ! Si, dans cette vie d’enfant sans famille, je n’ai pas perdu courage, si j’ai appris à être un homme, c’est bien à vous, surtout à vous que je le dois !
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عدل سابقا من قبل عبد الهادي بوحراشي في الجمعة يناير 29, 2010 8:08 am عدل 2 مرات | |
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